La tentative d’attentat contre un avion de ligne américain, le 25 décembre, nous donne plusieurs leçons que nous devons assimiler si nous voulons que la lutte antiterroriste soit plus efficace.
Premièrement : 8 ans après le 11 septembre, la sécurité aérienne reste très largement virtuelle et théorique. Des centaines de millions, si ce n’est des milliards, ont été dépensés dans la “sécurisation” des aéroports et des avions. Mais cet effort gigantesque n’a pas empêché Richard Reid (“Shoe Bomber”) de prendre un vol Paris-Miami en décembre 2001, avec une charge explosive cachée dans une de ses chaussures. La tentative échoua. Mais huit ans plus tard, presque jour pour jour, la même sécurité (pourtant nettement renforcée depuis fin 2001) a été totalement incapable d’empêcher Umar Farouk Abdul Muttalab d’entrer dans un autre avion avec une autre charge explosive. Une fois encore, l’attentat a échoué. Mais penser que le “suspect” a voyagé via deux aéroports (Lagos et Schipol) et embarqué dans deux avions ne rend pas les choses plus faciles à comprendre. Une fois encore, la tragédie a été empêchée grâce à une « erreur technique » et à l’action courageuse et décisive de passagers et de membres d’équipage. Pas par la « sécurité » et les milliards qu’elle a engloutis.
Un meilleur équipement, des personnels mieux formés, de meilleures procédures sont certainement indispensables si nous souhaitons que le niveau de sécurité des vols que nous empruntons soit satisfaisant. Mais il est aussi nécessaire de penser de manière originale, en dehors des sentiers battus. Ce qui implique l’humilité et le courage de poser les bonnes questions.
Par exemple, si l’on considère qu’Israël est une cible évidente pour le terrorisme, comment expliquer qu’aucun avion d’El-Al n’ait été détourné ou détruit de l’intérieur depuis 41 ans (le seul détournement réussi d’un avion d’El-Al remonte au 23 juillet 1969) ? Parce que les Israéliens ne se reposent pas exclusivement sur la technique (même si, par exemple, El-Al est la seule compagnie au monde à faire passer TOUS les bagages de TOUS ses passagers dans une chambre de décompression qui simule les conditions de pressions en vol, ce qui permet d’empêcher l’embarquement de détonateurs réagissant à l’altitude). Ils utilisent de manière exhaustive toutes les bases de données de renseignement auxquelles ils ont accès pour vérifier les antécédents des passagers, ils forment leurs personnels de sécurité à « profiler » ces mêmes passagers, ils ont des « marshals de l’air » sur chacun de leurs vols et, surtout… ils testent systématiquement leurs procédures. Chaque jour, quelque part dans le monde, une équipe de sécurité d’El-Al est évalué par des « inspecteurs » anonymes » qui se font passer pour des passagers « problématiques ». Et ils apprennent les leçons…
C’est ce mélange de techniques de pointe utilisées systématiquement, de renseignement, de bon sens et de sécurité humaine qui réduit drastiquement le risque et fait d’El-Al la “compagnie aérienne la plus sûre du monde, ainsi que l’a écrit le magazine Global Traveler en 2008.
La seconde leçon à retenir concerne al-Qaïda.
Il y a quelques mois, nombre « d’experts » nous disaient qu’al-Qaïda était sous intense pression dans la zone AfPak (Afghanistan Pakistan) et en déroute en Irak et dans la péninsule arabique. Et je ne mentionnerai que pour mémoire les soi-disant « problèmes financiers » de la mouvance du djihad global.
Quelques mois plus tard, n’en déplaise à ces « spécialistes », al-Qaïda ne ressemble pas vraiment à une affaire en faillite (contrairement à la sécurité aérienne) : le terrorisme est de retour, à pleine puissance en Iraq, la « guerre contre la terreur » dans la zone AfPak n’est pas exactement une success-story, le Yémen et la Somalie sont de plus en plus sous le contrôle des sympathisants d’al-Qaïda, l’AQMI (al-Qaïda au Maghreb islamique) constitue toujours la menace terroriste la plus importante contre l’Afrique du Nord et l’Europe. Et le 25 décembre, al-Qaïda a été très près de réussir un attentat qui aurait tué des centaines de personnes à bord du vol 253 et au sol.
La réalité et l’importance des liens entre Muttalab et al-Qaïda ne sont pas le vrai problème, même si al-Qaïda vient de revendiquer la tentative d’attaque : le problème c’est que, bien loin d’être agonisante, al-Qaïda reste capable d’inspirer (sinon d’organiser) des actions djihadistes dans le monde entier. Le problème, c’est que nous ne comprenons toujours pas le processus de radicalisation qui peut conduire un jeune ingénieur venant d’une famille respectée et aisée à s’asseoir dans un avion, un jour de décembre, avec une bombe attachée à son corps.
Le problème, enfin, c’est que nous nous reposons largement sur des mesures de sécurité manifestement inefficaces mais que nous ne gagnons pas la lutte contre le terrorisme et que nous perdons la « guerre des cœurs et des esprits ».
Tout est donc en place pour de nouvelles tragédies.
©ESISC 2009