L'Algérie ou le terrorisme opportuniste



 

 

Le retour de la terreur en Algérie prouve à quel point le terrorisme islamique peut se montrer opportuniste et comment il entend exploiter les faiblesses – réelles ou supposées – des « régimes impies » qu’il combat. Car si les attentats spectaculaires sont revenus sur le devant de la scène, c’est certainement autant en fonction d’un agenda interne et purement national que pour s’inscrire dans une stratégie globale.

Sur cette stratégie globale, nous n’insisterons pas. On a assez souligné, ici, le fait que l’installation d’une troisième zone de Djihad – après l’Afghanistan et l’Irak – surtout si près de l’Europe (et donc apte à menacer directement celle-ci) représentait un intérêt pour la mouvance al-Qaïda. Mais l’Algérie n’a pas été choisie au hasard et « al-Qaïda dans les Etats islamiques du Maghreb » porte bien mal son nom et devrait plutôt s’appeler al-Qaïda en Algérie, car c’est bien ce pays qui, aujourd’hui, est le maillon faible sécuritaire du Maghreb. Certes, demain, des bombes peuvent exploser au Maroc ou en Tunisie mais elles ne changeront rien à la réalité : même si le malaise islamiste et l’influence djihadiste ont augmenté dans ces deux pays, l’un, le Maroc, est engagé dans des réformes démocratiques et économiques qui modifient profondément son apparence, et l’autre, la Tunisie, réussit son pari économique de développement tout en contrôlant aussi parfaitement que possible la sphère sécuritaire. Quant à la Mauritanie et à la Libye, ce n’est pas leur faire insulte que d’estimer que leur déstabilisation serait de peu d’influence sur la région tant leur position est marginale, en termes de populations comme en termes politiques et même économiques. Il en va tout autrement de l’Algérie, énorme exportateur de gaz et de pétrole et peuplé de 32 millions d’habitants.

Las, l’Algérie de 2007 ressemble fort à celle du début des années quatre-vingt-dix : bloquée dans une crise sociale sans fin – paradoxe indéfendable : étant l’un des pays les plus riches d’Afrique, l’Algérie laisse aujourd’hui sa population survivre dans des conditions lamentables – et a une très large tendance à rejeter toutes les fautes sur le passé colonial qui l’aurait empêchée de se développer. Si l’on considère que le pays est indépendant depuis plus de 45 ans et que l’immense majorité de ses citoyens n’a jamais connu cette période maudite, il y aurait de quoi sourire si la situation n’était pas tragique.

Le pire, certainement – et le plus prometteur pour les islamistes – est que le pouvoir est en situation de vacances de fait. Ce n’est pas dévoiler un secret d’Etat que de dire que la santé du président Bouteflika laisse gravement à désirer, ce qui explique ses nombreuses absences, dans toutes les acceptions de ce terme. Le Calife, pardon, le Président règne, certes, mais, de fait, il ne gouverne plus. Ou peu. Le pouvoir étant structuré comme il l’est à Alger, les clans qui entourent la présidence – la haute hiérarchie militaire, le FLN, le lobby technico-pétrolier pour n’en citer que trois, mais l’on pourrait aussi évoquer les « pro-Français », les « pro-Américains » et même, maintenant, les « pro-Russes », regroupés autour du ministre de l’Intérieur, M. Yazid Zerhouni, grand admirateur de Vladimir Poutine et de son modèle d’Etat fort - se déchirent depuis des mois pour lui trouver un éventuel successeur. En vain. Les mêmes, sentant le terrain se dérober sous leurs pieds, ont tendance à concentrer beaucoup d’énergie sur la recherche ou l’entretien de bases arrières – le plus souvent, dans le seizième arrondissement de Paris… - qui pourraient se révéler vitales pour leur survie si les choses tournaient vraiment mal. Il en résulte qu’une énergie considérable est perdue dans des négociations de faction et des arrangements d’arrière boutique. On remarquera encore que la mouvance islamiste a tellement bien compris que le président Bouteflika était peut-être, aujourd’hui, la dernière clé de voute d’un système fragilisé que, le 6 septembre dernier, elle n’a pas hésité à essayer de s’en prendre au Président lui-même lors d’un  attentat qui a tourné au carnage (une vingtaine de morts et 107 blessés) à Batna. Le calcul est clair : « tentons de hâter la venue du moment historique qui verra le régime totalement déstabilisé et plus fragilisé que jamais ».

Pendant ce temps, le pays n’est pas ou peu gouverné. En témoigne entre autres le fait qu’aucun successeur n’a été nommé pour remplacer feu le général Smaïn Lamari, décédé le 27 août, et qui, en sa qualité de numéro deux du Département de la Sécurité et du Renseignement (DRS), occupait une place centrale dans la lutte contre le terrorisme.

La nature a horreur du vide. Et la mouvance islamiste a fort bien compris qu’en concentrant son énergie pour frapper maintenant, à coups si possible redoublés, elle pouvait profiter de ce moment historique voire amplifier la crise. Que se passerait-il, par exemple, si demain, des expatriés, de préférence français, étaient enlevés et assassinés devant les caméras, à la mode irakienne ? Chacun connaît la réponse à cette question. 

Or, étant donné son importance propre et son poids énergétique, si l’Algérie bascule dans une nouvelle crise telle que celle qui l’a ensanglantée dans les années quatre-vingt-dix, c’est tout le Maghreb qui tremblera et l’Europe en subira, durement, le contrecoup. Pour cette raison, au moins, il faut, aujourd’hui, aider Alger – comme il faut conforter Rabat et Tunis - à dépasser ce cap dangereux et retrouver la stabilité menacée. Il importe donc de garder son calme, de rester en Algérie, bien entendu, mais aussi de faire comprendre à ceux qui sont au pouvoir à Alger que c’est à eux de reprendre l’initiative.

Pas seulement par la répression, indispensable au demeurant, mais également par des réformes intelligentes et nécessaires. Celles que le pays attend depuis plus de vingt ans.

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