Le terrorisme, l'extrême gauche, les médias et l'Etat : le cas Joëlle Aubron



 

 

Le traitement médiatique de la mort de Joëlle Aubron est un véritable cas d’école. Il est révélateur de la difficulté que semblent éprouver certains journalistes face à la violence politique.  La guerre contre le terrorisme étant, entre autres, une guerre idéologique – une « lutte pour gagner les coeurs et les esprits » - nous touchons ici un point extrêmement sensible. Jeudi matin, à six heures, on pouvait entendre sur France Inter que Mlle Aubron « née dans la haute bourgeoisie », « avait renoncé à ses privilèges pour une vie de combat ». Dans Libération, la même se voit qualifiée d’« ex-militante » d’Action directe. Et le quotidien d’insister sur sa « silhouette frêle » et « son crâne dénudé par la chimiothérapie ».  La version française du moteur de recherche Yahoo propose une photo de la jeune femme avec ses dates de naissance et de mort ; pour Reuters, elle était « une activiste ».
Altruiste, militante, malade : pour un peu on plaindrait Joëlle Aubron ou, comme Yahoo, on la transformerait en icône. Qu’on nous comprenne bien : à nos yeux toute mort est un échec et, pour les proches de celui (celle) qui s’en va, une douleur qui doit être respectée. Mais l’empathie que l’on peut ressentir avec ceux qui vivent un deuil ne peut cacher la réalité : ni Joëlle Aubron, ni Nathalie Ménigon, ni Jean-Marc Rouillan, ni Georges Cipriani, ni Régis Schleicher (pour ne citer que les 5 principaux acteurs de la branche « internationaliste » d’Action directe - par opposition à la branche « nationale » regroupée à Lyon autour d’André Ollivier et de Max Frérot) ne furent des « militants » : c’étaient des terroristes. Et, pour certains, des tueurs : les « internationalistes » ont tué, de sang froid, deux hommes - Georges Besse et le général René Audran – et les « nationaux » ont le sang de quatre victimes sur les mains. Six familles détruites, tout cela au nom d’idées fumeuses. Alors, pourquoi ne pas appeler, simplement « assassin » celui qui tue et ne manifeste aucun regret ? Mais certains en sont incapables : pour eux, un terroriste sera toujours un « militant », un égorgement pratiqué en Irak est une « exécution » et un tueur du Djihad islamique de Palestine, un « militant ». Dangereuse perte de sens. Se trouvera-t-il, par ailleurs, un seul journaliste pour rappeler le moment venu au si sympathique et médiatique Olivier Besancenot, que son organisation, la Ligue Communiste Révolutionnaire, vient de condamner la « vengeance » que l’État exercerait contre les « militants » d’AD ?  Outre son traitement médiatique, la mort de Joëlle Aubron pose, d’ailleurs, une autre question, qui sera certainement agitée, dans les jours et semaines à venir, par une partie de l’extrême gauche sinon même de la gauche : est-il juste, voire raisonnable, de maintenir en prison des terroristes (pardon, des « activistes » !) qui y ont déjà passé près de 20 ans et ne présentent « plus de danger» pour la société ? Sur la question du danger, nous serons moins affirmatifs.
Certes, il est peu probable que Ménigon ou Rouillan, libérés demain, puissent replonger dans la clandestinité et la « lutte armée ». Mais ils peuvent être des exemples – voire des inspirateurs - pour une fraction – infime, certes, mais bien réelle – de la gauche anti-mondialiste qui est susceptible de basculer dans la violence. Surtout en ces temps où certaines luttes « de base » (comme c’est le cas, dans le nord de l’Italie, contre le TGV Lyon-Turin), donnent lieu à des actes de sabotages, donc à une forme de « terrorisme rampant ». Reste la question du pardon. Notre position est connue. Nous avons toujours pensé que l’État devait être fort – et impitoyable – quand la survie de la démocratie et de l’ordre constitutionnel ou la sécurité des personnes était en danger. Puis
vient un temps où il y a de la grandeur à faire preuve de mansuétude. Mais la générosité ne peut s’exercer aux dépens des victimes et de la vérité, et le pardon ne saurait s’appliquer qu’à ceux qui le demandent. Or, aucun membre d’Action directe n’a jamais demandé pardon ni, même, ne s’est distancié des errements de sa jeunesse. A peine Joëlle Aubron a-t-elle lâché un jour, froidement, « Notre hypothèse a échoué ».
C’est peu pour s’excuser de la mort de deux hommes. Alors, autant nous comprenons que Mlle Aubron ait bénéficié d’une libération médicale qui était manifestent justifiée, autant nous estimons que, malheureusement, n’en déplaise à M. Besancenot et à quelques autres, les conditions ne sont pas encore remplies pour libérer les autres membres de ce qu’il faut bien  nommer un « gang ».


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