Les mauvais signaux de Rome et de Londres : pourquoi nous perdons la guerre des idées



 

La guerre contre le terrorisme est d’abord et avant tout une guerre des idées, une offensive pour convaincre la tête de ceux qui pourraient être tentés de rejoindre les phalanges de l’islamisme armé et séduire leur cœur. Nous (le monde démocratique) devons les persuader que nous ne sommes pas leur ennemi mais que, au contraire, nous représentons le progrès et leur liberté. Ce n’est que par cette approche que les groupes radicaux pourront être isolés avant d’être détruits.  Malheureusement, cette indispensable guerre des idées et des coeurs, nous sommes en train de la perdre. Et nous la perdons parce que l’image que nous projetons est lamentable : oui, certains jours, nous sommes lâches, vénaux, hypocrites et indifférents. Rome et Londres viennent, d’ailleurs, de le prouver.

On ne lit pas assez la littérature islamiste (le mot « littérature » est, ici, à prendre au sens le plus large : les textes doctrinaux, les sites Internet, les articles et interventions de Ben Laden, al-Zawahiri et consorts). Elle est pourtant extrêmement révélatrice. Non pas tellement pour ce qu’elle nous apprend du projet politique des tenants du salafisme armé -  celui-ci est assez connu – mais pour l’image de nous-mêmes que nous renvoient ces textes. Pour les djihadistes, les « infidèles » que nous sommes sont lâches, corrompus, hypocrites, indifférents à la souffrance des autres et enclins à la trahison. N’avons-nous pas battu en retraite, à Beyrouth, dans les années quatre-vingt après quelques attentats (particulièrement sanglants, il est vrai) contre les troupes américaines et françaises ? La grande et puissante Amérique ne s’est-elle pas désengagée de la Somalie, au début des années quatre-vingt-dix, après y avoir perdu une quinzaine de soldats des Forces spéciales ? En nous frappant assez fort et de manière assez répétée, soutient inlassablement la propagande adverse, l’ennemi arrivera donc à nous tétaniser et à réaliser son but : nous chasser, nous « l’ennemi lointain » du monde musulman pour pouvoir, enfin, s’en prendre à « l’ennemi proche » : les « régimes impies » que nous soutenons et dont le renversement est le véritable but du djihad. Et si nous sommes lâches, soutiennent les islamistes, c’est parce que nous nous sommes enfoncés, noyés, avilis pour tout dire, dans une société permissive, jouisseuse et ivre de consommation dans laquelle l’argent remplace « le vrai Dieu ». Cette même littérature nous dépeint également comme hypocrites et sournois et indifférents à la souffrance des autres. Le message est clair : personne ne peut nous faire confiance car, tôt ou tard, par lâcheté et par intérêt, nous ne cesserons de soutenir nos alliés locaux (comme les Etats-Unis l’ont fait au Vietnam ou la France en Algérie avec les Harkis). Celui qui parie sur nous partagera donc notre sort ou, pire, fera, seul, face à son propre et tragique destin.

Malheureusement, à deux reprises en peu de semaines, nous venons de confirmer cette image sombre qui est la nôtre. Inutile de chercher plus loin qu’à Rome une parfaite illustration de la lâcheté, de l’hypocrisie et de la « sournoiserie » du monde démocratique : il suffit de se référer à l’affaire Mastrogiacomo. Pour obtenir sa libération, l’Italie a exercé de « fortes pressions » (dixit le président Karzaï) sur les autorités afghanes pour faire relâcher  5 Talibans en échange du journaliste. Au passage, la république italienne, bonne fille, aurait versé deux millions de dollars aux ravisseurs. Mais en « oubliant » chauffeur et interprète qui ont été assassinés d’horrible façon . Double leçon, donc, pour les djihadistes et, surtout, pour ceux qui les observent : oui nous sommes lâches (nous négocions) et oui nous sommes sournois, hypocrites et indifférents aux autres : nous sauvons nos compatriotes à n’importe quel prix mais nous laissons tomber les « locaux » qui nous aident… Lâcheté, à nouveau, mais doublée cette fois de vénalité, à Londres. Une quinzaine de marins britanniques se rendent, sans tirer un seul coup de feu, même en l’air contre leurs assaillants (il est permis de penser que, devant une attitude plus ferme, les Pasdarans auraient reculé) puis ils se prêtent au jeu de leurs ravisseurs en confessant à la télévision des fautes imaginaires et en se laissant filmer, joyeuse petite bande, à des fins de propagande (toute chose qui, soit dit en passant, pourraient être constitutives d’un crime de trahison…). Pour couronner le tout, on ajoutera à ce déplaisant tableau une bonne touche de vénalité : à peine rentrés à la maison, les militaires britanniques vendent au prix fort leurs souvenirs à la presse people. A défaut d’avoir été courageux, les soldats de Sa Gracieuse Majesté ont le sens des affaires.

On croit rêver. Mais le rêve c’est à l’ennemi, qui  n’en espérait sans doute pas tant, que nous l’offrons car nous correspondons en tous points, en cette double actualité, à l’image qu’il s’efforce de peindre de nous.  A nos alliés, nous offrons un cauchemar : que vaut notre engagement, de quel poids sont nos promesses ? Quant à nous, entre rêve et cauchemar, nous ne faisons que construire notre propre avenir et, si nous ne nous reprenons pas, il sera sombre. La guerre contre le terrorisme n’est pas que militaire, policière ou judiciaire. Elle est aussi psychologique.

Les cœurs et les esprits, il serait temps d’y penser et de nous cramponner aux valeurs que nous prétendons être les nôtres….

 

 


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