Lettre ouverte aux citoyens helvètes et à ceux qui les portent aux nues au sujet d’une votation sur les minarets



 

 

Cher amis,

 

Je sens que je vais vous faire de la peine. Et que je vais décevoir ceux, nombreux, qui, depuis le 29 novembre, m’ont demandé de commenter le référendum sur les minarets. Mais tant pis, l’amitié, la vraie, commande de toujours dire ce que l’on pense.

Chers amis helvètes, le référendum par lequel vous vous êtes exprimés à 57,5% contre la construction de minarets dans votre pays était inutile, contreproductif, stupide, dangereux et immoral.

 

Vous êtes encore là ? Vous n’avez pas encore zappé ? Alors reprenons les choses dans l’ordre.

 

Ce référendum était inutile parce que la question des minarets est un faux problème. Comme l’a souligné l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, il ne s’agit pas d’une obligation coranique mais d’une pièce « d’architecture traditionnelle ». Il n’y a là aucun symbole politique. Rien n’indique que les minarets sont prêts à pousser comme des champignons dans votre pays et, si c’était le cas, de simples règlements urbanistiques suffiraient à régler ce point.  

 

Il était stupide et contreproductif car d’un « non problème » vous avez fait, d’un coup de baguette magique, un abcès de fixation, comme d’autres le firent il y a quelques années avec les caricatures du prophète (j’ai toujours dit sur ce point et je n’ai pas changé d’avis, qu’on doit avoir le droit de caricaturer le prophète, le Christ, Iahvé ou Vishnou mais que moi, personnellement, je ne le ferai pas…). En vous fixant sur un point qui ressort simplement d’habitudes et de traditions, vous avez donné des arguments à ceux qui hurlent à tout bout de champ à « l’islamophobie ». Ils auront désormais un argument en plus pour prétendre que toute critique de la religion est une forme de rejet et de racisme.

 

Il était dangereux, car vous donnez l’impression que vous rejetez les musulmans et l’islam et non le fondamentalisme et l’islamisme. De plus, en vous attaquant à ce « non problème », loin d’isoler les extrémistes et de faire baisser les tensions, vous exacerbez celles-ci et vous poussez de nombreux musulmans européens à faire bloc pour se défendre contre ce qu’ils pourraient considérer comme une agression. 

 

Il était immoral enfin, car toute intrusion dans la vie privée et les pratiques religieuses est injustifiée si elle ne se fonde pas sur des raisons d’ordre public. Et en quoi quelques minarets menacent-ils l’ordre public ?    

 

Existe-il un danger islamiste en Europe ? Oui, bien entendu. Et ayant été moi-même victime d’une agression physique grave pour avoir défendu l’interdiction du voile, je crois être bien placé pour en parler. Il y a effectivement, dans certains milieux liés aux Frères musulmans et ayant une grande influence sur la jeunesse, un plan concerté visant à creuser le fossé entre les communautés et à imposer des pans de la Charia dans la vie publique. De plus, l’Europe, aujourd’hui, au nom de la « protection de la liberté d’opinion », exporte du radicalisme vers les pays d’origine des musulmans qui vivent sur son sol. Dans (presque) chaque réseau terroriste démantelé ces dernières années au Maroc, on trouve des convertis et des musulmans nés et éduqués en Europe. Ce n’est pas un hasard mais le fruit de nos erreurs et de notre faiblesse. Il y a là de vrais dangers qui doivent être dénoncés et combattus.

 

Avons-nous un problème avec l’islam ? En tant que religion, non, mais à travers certaines de ses pratiques, oui, bien entendu. C’est le cas notamment pour la polygamie, interdite par la loi mais tolérée de fait partout en Europe. C’est le cas avec l’abattage rituel et la souffrance inutile et choquante imposée aux animaux qui le subissent. Il y a là de vrais problèmes qui doivent être réglés.

 

Mais pour lutter contre l’extrémisme, pour réformer des pratiques issues de la religion – ou plutôt d’une vision rétrograde et archaïque de cette religion – et  qui n’ont aucune place en Europe, nous avons besoin des musulmans et de l’aide de leurs pays d’origine, comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie. Ce n’est pas en stigmatisant et en rejetant toute une communauté, comme vous l’avez fait, que nous gagnerons cette bataille des cœurs et des esprits.

 

Pour ma part, je préfère mille fois des mosquées ornées de minarets mais dans lesquelles on enseignerait un islam de paix et de tolérance à des lieux de cultes insalubres, obscurs et non encadrés où se développent aujourd’hui en Europe l’idéologie islamiste et ses corollaires : les appels à la haine et au djihad.  

 

Encore un mot, adressé cette fois à ceux qui, en dehors de Suisse, se trompent de combat et louent le « courage » helvète dans cette triste affaire.

 

Je connais bien la Suisse. Il y a une vingtaine d’années, j’ai eu le plaisir de travailler pour de grands médias de Genève et de Lausanne : « 24 heures », « La Tribune de Genève » ou encore la TSR. J’ai apprécié les contacts que j’avais avec des collègues ouverts sur le monde, gentils et tolérants.

 

Mais ce n’est pas à cette Suisse-là que me renvoie aujourd’hui votre référendum mais à une autre, détestable, que font curieusement mine d’oublier ceux qui vous félicitent pour votre choix.

 

La Suisse qui a fermé ses frontières aux réfugiés juifs et antifascistes pendant la Seconde Guerre mondiale (quand elle ne les livrait pas à la barbarie) mais qui a blanchi et recyclé l’argent nazi durant la même période, méritant ainsi d’être appelée « le Banquier du Troisième Reich ». La Suisse de ces mêmes banquiers qui exigeaient des héritiers des dépositaires juifs les certificats de décès de parents morts à Auschwitz – « Vous n’avez pas ce document, quel dommage, nous sommes obligés de garder votre argent »… La Suisse qui, entre 1934 et…1975 ( !!) arrachaient de force des centaines d’enfants de la communauté Jenische (Tziganes) à leurs familles et leur faisait subir d’épouvantables sévices au sein de ses services « sociaux ». La Suisse, enfin, qui n’aime pas les étrangers mais a construit en quelques décennies une formidable machine à blanchir et à abriter l’argent de toutes les mafias et de tous les dictateurs du monde.

 

Chers amis, soyons tout à fait clairs : c’est bien de cette Suisse-là que vous êtes solidaires, aujourd’hui ?

 

Pour donner des leçons de morale et de tolérance, chers amis helvètes, il faut en avoir les moyens. Au regard de votre histoire et de la difficulté manifeste que vous avez à l’assumer, il me semble que ce n’est malheureusement pas votre cas.

 

Croyez, chers amis helvètes, en mes sentiments déçus mais attentifs.

 

 

©ESISC 2009

 


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