Libye : le crime paie



 

 

D’abord, bien entendu, on se réjouira de la libération des infirmières bulgares et du médecin d’origine palestinienne qui ont vécu un calvaire durant huit années en Libye. Ensuite, on se félicitera de ce succès de la diplomatie française. Là où la Bulgarie a joué un rôle négligeable pendant des années (alors même que ses ressortissants étaient détenus), là où l’Union européenne n’a guère brillé par son efficacité, c’est en quelques semaines seulement que le président Nicolas Sarkozy a obtenu gain de cause. Dont acte. Mais malheureusement, quitte à passer pour un esprit chagrin, on ne peut que regretter que le crime ait payé.

 

L’affaire des « infirmières libyennes » a en effet tout de la prise d’otage. Cinq infirmières et un médecin ont été retenus en Libye et condamnés à mort pour un « crime » dont tout un chacun sait qu’il n’a jamais été commis : les enfants libyens morts ou malades du sida n’ont été les victimes que de l’état lamentable des hôpitaux de Benghazi, en particulier, et de la médecine libyenne, en général, et d’un manque d’hygiène généralisé. Le fait que des aveux aient été obtenus, sous la torture, ne change rien à l’affaire. Et l’on espère bien que les vraies victimes – les otages qui viennent d’être libérés – se retourneront contre Tripoli : l’engagement à ne pas poursuivre la Libye qu’ils ont pris n’a évidemment aucune valeur, ayant été arraché sous la menace de mort.

Alors que fallait-il faire ? Si l’Europe avait été forte et unie, il aurait été possible d’exercer sur la Libye une pression maximale nécessaire à obtenir gain de cause. Mais l’Europe n’est ni forte ni unie. Il a donc fallu payer – que cela ait été fait directement ou par le biais de certains pays arabes amis.

 

Triste précédent qui voit une population faire commerce de la vie et de la santé de ses enfants – ce fameux « prix du sang » qui a été payé aux familles – et un Etat être récompensé pour la prise d’otage d’innocents : les plus hautes autorités libyennes ont reconnu que la libération avait été « facilitée » par la promesse de renouer des relations entre Tripoli et l’Europe.

Il y a quelques années, le colonel Kadhafi avait obtenu de rentrer en grâce auprès de Washington et de Londres en renonçant à un programme d’armes de destruction massive inventé de toutes pièces : quiconque connaît l’état de l’industrie et de la science libyennes et les habitudes locales de travail (si l’on peut employer ce mot…) sait bien que la Libye eut été totalement incapable ne serait-ce que d’entamer un tel programme. Les quelques bouts de tuyaux et autres veilles machines qui ont été livrés aux Etats-Unis ne valaient que le poids de la ferraille mais ont été négociés au prix de l’or grâce à la magie toute orientale du chef de l’Etat libyen.

 

Avec l’affaire des infirmières, on sait donc désormais qu’en plus d’être des escrocs, les dirigeants libyens sont également des preneurs d’otages et des racketteurs.

Voilà qui est peu encourageant pour les ingénieurs, techniciens, hommes d’affaires et autres spécialistes européens qui auront à se rendre sur place, maintenant que la Libye, pour prix de son crime, est devenue notre meilleure amie ! Lorsque Kadhafi a voulu se rapprocher des Etats-Unis, il a inventé son programme d’armes de destruction massive et a négocié son « abandon » ; lorsqu’il a voulu se rapprocher de l’Europe, il a instrumentalisé le complot fantasmatique des infirmières et a négocié ses otages. Si demain, il vient au colonel l’envie de devenir Prix Nobel de la Paix, de se produire sur les scènes de Broadway dans un numéro comique ou, tout simplement, d’obtenir notre soutien pour maintenir son régime socialiste en faillite, qu’inventera-t-il et qui prendra-t-il en otage ?  


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