Depuis un an, la montée aux extrêmes qui oppose le régime syrien, d’une part et le Conseil National Syrien (CNS), d’autre part, laissait présager de l’imminence d’une guerre civile. Et bien nous y sommes. On se bat dans la banlieue de Damas, les combats font rage dans les villes et les campagnes. Les populations civiles sont prises en otage. Et ce n’est, sans doute, qu’un début.
Les insurgés de l’Armée libre syrienne montent en puissance tandis que l’armée régulière se prépare à se battre « dos au mur ». A commencer par ses unités d’élite, majoritairement alaouites, comme le clan des el-Assad. Ils sont persuadés, et sans doute ont-ils raison, de n’avoir rien à perdre. Si l’opposition, essentiellement sunnite, l’emporte, alors la sécurité des minorités, alaouites, chrétiennes, druzes et kurdes, est loin d’être garantie. En dépit des promesses du CNS.
Comme de raison, la communauté internationale réagit. Le Conseil de Sécurité de l’ONU s’agite.
Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni veulent « en finir » avec le régime de Bachar el-Assad.
Les Russes recherchent une solution plus respectueuse de leurs intérêts. La Syrie est leur dernier allié régional. Ils y ont une base militaire navale. Et ils ne veulent plus être « roulés dans la farine » comme dans l’affaire libyenne.
Les Chinois restent fidèles à leur ligne résolument non interventionniste.
Autant le dire, dans ce contexte politique international, la boucherie syrienne n’en est qu’à ses débuts.
Alors, soyons clair, Bachar el-Assad, et c’est un euphémisme, est très certainement un homme détestable. Il aura tenté, en vain, de faire illusion dans les premières années de son règne (avec, soulignons-le quand même, la complicité active de Paris et de Washington !). De fausses réformes en promesses non tenues, il aura surtout démontré que rien n’avait changé en Syrie après la mort de son père. Le régime est resté ce qu’il était, une dictature féroce et impitoyable qui a toujours recouru au meurtre et à la torture.
Mais cela suffit-il à dédouaner l’opposition que certains médias s’acharnent à nous présenter comme « démocratique » ? On ne peut, en tout état de cause, qu’être perplexe devant l’indifférence affichée par les diplomaties occidentales, à commencer par celles du trio Etats-Unis, France et Grande-Bretagne, devant la participation active des Frère Musulmans syriens et des salafistes au CNS et aux combats qui déchirent le pays.
A croire que nos politiques se fient aux déclarations lénifiantes des « Frères » qui jurent sans rire aspirer à l’édification d’une Syrie démocratique et respectueuse de toutes les composantes de la société. Ou à celles des « experts » qui leur assurent que les « Frères » ont perdu toute leur influence dans la société syrienne depuis le massacre de Hama et les années de répression qui s’en suivirent.
Soyons clairs, une fois encore : en Syrie, comme ailleurs dans le monde arabe, le seul objectif de la Confrérie est la prise du pouvoir. Et leur projet à long terme n’est rien d’autre que l’établissement d’un régime théocratique réactionnaire qui par définition ne peut pas être démocratique. Et pour cela, elle est capable de faire preuve d’une infinie patience et d’utiliser tous les moyens à sa disposition. A commencer par le mensonge.
Jusque très récemment, les puissances occidentales ne se laissaient pas abuser. Mais pris de vitesse par le « Printemps arabe », nous voilà pris dans une spirale dangereuse.
A peine débarrassés de Ben Ali, les Tunisiens se retrouvent avec un Premier ministre issu du parti Ennadha, la branche locale des Frères. Dans la nouvelle « démocratie tunisienne », les premiers à se faire intimider sont les journalistes et les intellectuels.
Comme l’exemple tunisien n’était apparemment pas suffisant, l’Europe et les Etats-Unis ont applaudi le « Printemps égyptien ». A ce propos, il convient de se rappeler qu’il y a juste un an, Mohammed el-Baradei, le subtil diplomate égyptien, avait cru aux déclarations des Frères qui s’engageaient à soutenir sa candidature à une éventuelle élection présidentielle. Aujourd’hui, el-Baradei est à la retraite et les Frères ont triomphé aux législatives.
En Libye, la coalition internationale menée par la France a mis au pouvoir une étrange coalition d’anciens complices du colonel Kadhafi, d’islamistes radicaux et de chefs de guerre tribaux.
C’est maintenant le tour de la Syrie. Soyons assurés que si le régime syrien tombe sans que son remplacement n’ait été, d’une manière ou d’une autre, préparé, les Frères s’efforceront de prendre le pouvoir. Et ils risquent bien d’y réussir dans un contexte autrement plus dangereux pour la population que celui qu’ont connu les Tunisiens et les Egyptiens.
On peut espérer que les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité s’entendront et choisiront de régler la question syrienne et le départ de Bachar el-Assad au mieux des intérêts de tout le monde, à commencer par ceux du peuple syrien. Dans le cas contraire, la communauté internationale aura œuvré au seul profit d’islamistes dont elle « s’étonnera », demain, qu’ils ne tiennent pas leurs promesses et fassent simplement passer Damas de la férule d’un dictateur à la loi d’un autre.
© ESISC 2012