Opération Ben Laden : un succès tactique, une défaite stratégique



 

 

L’élimination d’Oussama Ben Laden (OBL) est évidemment une bonne nouvelle et a même été saluée comme telle par la majorité des gouvernements et par de nombreux médias arabes.

 

Certes, des voix s’élèvent déjà, ici ou là, pour regretter qu’il ait été « exécuté » et estimer qu’il « aurait mieux valu le prendre vivant  et lui faire un procès en bonne et due forme» que de « l’assassiner ». Pur non sens : imagine-t-on le cauchemar sécuritaire et politique qu’aurait représenté la détention de Ben Laden sur le sol américain, probablement pendant des années, son procès qui aurait duré des mois voire des années, son inévitable condamnation à mort et, pour finir son exécution ? Tous les djihadistes du monde y auraient puisé une motivation nouvelle à attaquer les intérêts américains et occidentaux tandis que les droits-de-l’hommistes nous auraient servi l’habituel couplet sur la peine de mort.

 

Aucun regret à avoir de ce point de vue donc. Et certainement aucun questionnement éthique : la mort de Ben Laden est un acte de guerre dans le cadre d’une guerre que nous n’avons pas déclarée mais qui nous a été imposée par le terrorisme salafiste. OBL a fait ses choix, pris ses responsabilités et en a payé le prix. Justice est faite ! Point final.  

D’autant que l’affaire d’Abbottabad constitue une magnifique opération de renseignement couronnée par le succès d’une superbe action des forces spéciales exécutée avec brio (si l’on excepte la perte d’un hélicoptère due à des problèmes mécaniques).

 

OBL était, depuis dix ans, recherché par tous les services spéciaux du monde et en particulier par la CIA. Certains « experts » ont beaucoup glosé sur le fait qu’il ait été, jusqu’à lundi dernier, hors d’atteinte. D’aucuns y voyaient la preuve qu’il était mort. D’autres que les Américains ne souhaitaient pas vraiment le capturer et les derniers, enfin, que les services secrets de Washington sont vraiment nuls.

Mais ces dix années de traque ont fini par amener le succès. Des renseignements obtenus auprès d’au moins deux détenus importants (High Value Targets) à Guantanamo ont permis de localiser un périmètre probable dans lequel il se trouvait sans doute, non loin d’Islamabad. Les mêmes sources ont identifié un « courrier humain » dans lequel le chef d’al-Qaïda avait toute confiance. Neuf mois de surveillance difficile, dans un milieu particulièrement hostile, ont fini par mener à la cible et, vendredi dernier, le degré de certitude était devenu tel au sommet de l’Etat que le président Obama a pu donner l’ordre de passer à l’action. Une équipe d’une vingtaine de Navy Seals, la crème de la crème des forces spéciales américaines, appuyée par une deuxième équipe dans deux autres appareils, a donné l’assaut dans un contexte extrêmement délicat et le succès a couronné l’audace.

Voilà pour la tactique, rien à dire sinon applaudir à autant de savoir-faire qui montre que la CIA n’est pas encore le lion édenté que l’on nous décrit souvent.

 

Du point de vue stratégique, c’est une autre affaire. D’abord, la menace terroriste ne va pas disparaître même si la mort d’OBL et l’inquiétude qu’elle va répandre dans les milieux djihadistes – « s’il a été repéré, pourquoi pas moi ? » – vont probablement désorganiser pour un moment les chaînes de communication et de commandement. Mais, outre le fait que des attaques de représailles sont extrêmement probables, il s’en suivra, obligatoirement, une recomposition de la scène djihadiste qui pourrait être porteuse de nouvelles menaces.

 

Ensuite, l’attitude trouble – et c’est un euphémisme poli – des autorités sécuritaires pakistanaises[1] prouve que le « meilleur allié »  de Washington dans la région est tout sauf fiable. Etant donné le poids du Pakistan et son importance dans la géopolitique régionale, c’est évidemment une grande source d’inquiétude. En même temps, cela explique pourquoi il n’a pas été possible de localiser plus tôt le chef terroriste : il bénéficiait à l’évidence de hautes protections. 

 

Mais c’est surtout la communication qui entoure l’opération qui est un véritable désastre. Le message du président américain était simple, digne et clair. Barack Obama a prouvé à ceux qui en doutaient qu’il était un « vrai américain » et un véritable chef de guerre.

Mais certains de ceux qui le conseillent devraient revoir leurs classiques et ceux qui alimentent la presse en rumeurs et fuites de tout ordre devraient comprendre le tort qu’ils font à leur pays et à la lutte antiterroriste.

 

Il y a d’abord eu cette imbécile déclaration sur le corps « immergé dans le respect des lois islamiques » qui ne peut que faire bondir tout bon musulman, même s’il détestait, comme la majorité, Ben Laden. Puis, on nous a dit qu’il a résisté les armes à la main, qu’il s’est caché derrière sa femme au moment de l’assaut et qu’il n’y a pas eu d’autres choix que de l’abattre, pour nous apprendre ensuite qu’il n’était pas armé et qu’il ne s’est pas caché derrière une femme qui, d’ailleurs, n’était sans doute pas la sienne (tout cela, à nos yeux, n’enlevant strictement rien à la nécessité qu’il y avait de l’abattre). Encore quelques jours et une source « généralement bien informée » nous dira qu’il regardait des dessins animés et a offert du pop corn aux forces spéciales…

Puis est venue la question des photos à laquelle, fort heureusement, le président Obama a mis le holà en affirmant qu’elles ne seraient pas publiées. On espère que personne, à Washington, ne transgressera cet ordre.

 

Il faut que cette cacophonie cesse.

La guerre contre le terrorisme est aussi une guerre « pour les cœurs et les esprits ». C'est-à-dire une guerre psychologique qui ne peut se gagner qu’en combinant l’usage d’une force parfois extrême avec un discours (accompagné d’actes positifs) clair et ferme mais démontrant l’empathie pour ceux qui pourraient être séduits par l’adversaire.

Tout le contraire, en résumé, des déclarations contradictoires, décousues et, pour tout dire, néfastes, qui se répandent dans les médias depuis quatre jours.

 

 

© ESISC 2011

 



[1] Voir les « briefings » que nous avons publiés en début de semaine sur cette question, en particulier « Bin Laden and the Pakistani Double Game » : http://www.esisc.net/en/p.asp?TYP=TEWN&LV=187&see=y&t=68&PG=TEWN/EN/detail_os&l=16&AI=2337


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