Pourquoi affaiblir les services spéciaux dans la lutte antiterroriste ? Ou quand Libération se fait l'avocat du diable



 

 

Alors qu’un tribunal parisien juge 6 jeunes Français qui avaient séjourné dans les camps d’Al-Qaïda et qui ont été détenus à Guantanamo, le quotidien Libération a jugé bon, hier, de lancer une torpille contre la lutte anti-terroriste. Le titre s’étale « à la une » : « Le document qui gêne les juges ».
Et, à l’intérieur, sur deux pages, le quotidien « prouve que les six islamistes jugés à Paris ont été interrogés illégalement à Guantanamo par des officiers français ». Et Libération d’éditorialiser, gravement, sur « un Etat de droit qui jugerait en s’affranchissant des règles de droit ». Les faits qui justifient ce jugement péremptoire sont simples. A deux reprises au moins, en 2002, une équipe mixte, composée de fonctionnaires de la DST (contre-espionnage) et de la DGSE (renseignement extérieur et action), a séjourné à Guantanamo dans le but d’identifier les détenus français qui se trouvaient au camp X-Ray. Au passage, le parcours de ces détenus – qui font aujourd’hui face à leurs juges - a fait l’objet d’interrogatoires et de rapports.
Il y a dans cette révélation qui n’en est pas une, et surtout dans la bonne conscience droit-de-l’hommiste des journalistes, quelque chose de perturbant. D’abord, répétons-le, la révélation n’en est pas une : toute personne proche de la lutte anti-terroriste sait que la quasi-totalité des pays qui avaient des ressortissants à Guantanamo a envoyé sur place, parfois à plusieurs reprises, des équipes (souvent mixtes : police-renseignement) afin de débriefer ces détenus. C’est vrai non seulement pour la France mais pour la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne etc. Le but de ces débriefings était double.
Il s’agissait d’abord, à l’évidence, de s’assurer de l’identité et de la nationalité réelle des détenus. Qu’aurait dit Libération si on avait laissé croupir, à Guantanamo, sans s’en préoccuper, six jeunes Français ? Or, pour les rapatrier il fallait, à l’évidence s’assurer du fait qu’ils étaient bien français. Le deuxième but est évident : il s’agissait, dans l’urgence, d’extraire tout renseignement possible sur d’éventuels attentats en préparation. A nouveau, qu’aurait dit Libération si un attentat avait été commis à Paris et qu’il s’était avéré qu’il aurait pu être empêché en interrogeant un détenu à Guantanamo ?
Ces visites étaient, d’ailleurs, strictement encadrées par les autorités américaines et soumises à des règle précises : chaque délégation ne pouvait, par exemple, que rencontrer des détenus de sa nationalité. Nombre de visiteurs de Camp X-Ray avec lesquels nous avons pu nous entretenir ces dernières années se sont plaints de cette particularité, arguant que, connaissant nettement mieux les réseaux islamistes que leurs homologues américains, les Européens auraient pu en apprendre plus s’ils avaient été autorisés à rencontrer d’autres détenus. Au passage encore, signalons que nombre d’informations utiles ont été recueillies sur place et qu’elles ont notamment permis de dresser ou de préciser des organigrammes de réseaux ou de mettre à jour des voies et moyens d’acheminement de volontaires sur zones de djihad. Ce point permet de relativiser le concert d’hypocrites critiques que l’Europe adresse à Washington pour cette « zone de non droit » que serait Guantanamo. Pour Libération, ces visites ont été réalisées « hors de tout cadre légal ». C’est faux. A aucun moment il ne s’agissait d’interrogatoires judiciaires et, même si certains éléments ont pu, par la suite, être utilisés dans l’enquête, les rapports de ces visites ne se sont d’ailleurs pas retrouvés en procédure. La DST agissait en sa capacité de service de renseignement et non de police judiciaire ; quant à la DGSE, c’est encore plus simple : ne disposant d’aucun pouvoir judiciaire d’aucune sorte, elle n’est, par définition, nullement concernée par le « cadre légal » qui doit entourer une instruction puisqu’elle n’y collabore point. Cela semble assez facile à comprendre.
Reste que cette attaque frontale contre le travail des services de sécurité et de renseignement pose question. D’autant que la défense s’en est évidemment saisie et ne cache pas sa volonté de s’en servir pour faire annuler tout ou partie des procédures en cause.
Nous aurions tendance à y voir l’influence de ce courant qui continue à nier que la crise terroriste que nous vivons depuis maintenant soit une guerre. Or, n’en déplaise aux beaux esprits, une guerre ne se gagne pas que dans les prétoires et par les moyens judiciaires. Il y faut parfois, aussi, une bonne dose de moyens « spéciaux » administrée par les services du même nom. Nous avons donc besoin de l’action secrète voire clandestine de nos « services » et tout ce qui les affaiblit est mauvais. Mais cette fausse bonne conscience n’est pas le seul apanage de Libération.   Nous vivons dans une république où nous avons vu, il y a peu, la ministre de la Défense Mme Alliot-Marie, se féliciter dans une lettre que les mercenaires slaves qui ont bombardé le camp de Bouaké en Côte d’Ivoire,  le 5 novembre 2004, et tué 9 militaires français et un civil américain, n’aient pas été « interrogés au fond » par des militaires français qui les avaient eus sous leur contrôle. Et ce, au nom des « principes fondamentaux du droit »[2].   Des militaires français meurent, des civils français meurent et mourront peut-être demain par centaines mais il est manifestement hors de question, pour certains, de laisser les « services » travailler. Et rien n’est plus important que le respect d’une « procédure » formelle. Qu’on nous comprenne bien, il n’est pas question ici de dire que tout est permis ni souhaitable. Mais enfin, peut-on sérieusement dire qu’un interrogatoire par les services de renseignement de mercenaires qui ont tué 9 Français ou de présumés terroristes qui s’apprêtaient peut-être à en tuer des centaines est une grave violation des droits de l’homme ou de la défense ?   
Ne doutons pas que, si demain le pire arrive – par exemple un attentat chimique dans le métro de Paris –, Libération sera parmi les premiers à s’interroger sur ce que ces services, précisément, n’ont pas fait pour empêcher le drame.


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