Turquie : il est temps de dire la vérité à Ankara



 

 

L’Union européenne s’est engagée dans un jeu de dupes avec Ankara, laissant croire à la partie turque qu’une l’adhésion à l’Union européenne est possible. Or, il n’en est rien et ces fausses promesses ne peuvent que générer incompréhension et rancœur. La Turquie, fidèle alliée de l’Europe au sein de l’OTAN, mérite qu’on lui dise la vérité.
Le chef de la diplomatie turque, M. Abdullah Gul, réunissait, le samedi 24 février, 23 élus européens d’origine turque, siégeant au Parlement européen ou dans des assemblées nationales, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Danemark ou en Suède. Son but : faire des élus des « ambassadeurs » chargés de lever « les préjugés » existant en Europe contre la Turquie. Outre le fait que cette démarche est dangereuse - un élu national n’est pas l’avocat de son pays d’origine – elle témoigne du fait qu’Ankara continue à croire à l’adhésion.  
Il y a, il faut le dire, dans la relation que l’Union européenne entretient avec la Turquie, quelque chose de profondément malsain. Par faiblesse et lâcheté, cédant au politiquement correct, prisonnière de promesses absurdes faites depuis vingt ans pour ne pas froisser la partie turque, Bruxelles feint de croire que les obstacles à surmonter sont essentiellement techniques et peuvent donc être levés par des ajustements. Il n’en est malheureusement rien et il faut avoir le courage de le dire.
La Turquie n’adhèrera pas à l’Union européenne parce que, quoique qu’on en dise (ou qu’on n’en dise pas), même la politique ne peut changer les réalités profondes. Et, dans ses profondeurs, l’Europe est un continent de « culture chrétienne » (un « club chrétien » comme disent certains). La présence de 15 à 20 millions de musulmans sur les quelque cinq cents millions d’Européens ne changera rien à cette réalité. Au contraire même, un certain prosélytisme musulman, le voile, ressenti par certains comme une agression et par beaucoup comme une atteinte aux droits des femmes, la peur de l’intégrisme, le terrorisme (même s’il est évidemment le fait d’une minorité) sont autant de facteurs qui conditionnent la perception que l’Europe a de l’Islam et sont donc de nature à effrayer et à braquer encore plus les populations contre l’adhésion possible d’un pays de plus de 70 millions de musulmans.
Mais il y a plus. La Turquie n’adhérera pas à l’Union européenne parce qu’elle reste un pays de grande violence : plusieurs dizaines d’organisations d’extrême gauche, le PKK, les islamistes, l’extrême droite y commettent chaque année des dizaines d’attentats. La Turquie n’adhérera pas à l’Union européenne parce que lorsqu’un jeune imbécile de 17 ans manipulé par les fascistes locaux tue un écrivain arménien, il est fêté comme un héros par les policiers qui sont chargés de l’arrêter. La Turquie n’adhérera pas à l’UE parce que trop de ses policiers ont, par ailleurs, la main lourde et que les violations des droits de l’homme y restent fréquentes. Elle n’adhérera pas à l’UE par que ses meilleurs écrivains doivent choisir entre l’exil, le silence et le risque du procès ou de la balle qui mettra fin à leurs rêves.  
La Turquie n’adhérera pas à l’Union européenne parce que les poches de misère et de retardement y sont beaucoup trop nombreuses, avec toutes leurs conséquences sociales et politiques. Quelques chiffres en témoignent : une mortalité infantile de 41,6/1000 (entre 6 et 10 fois plus qu’en Europe), une espérance de vie de dix ans inférieure à celle de l’UE, un analphabétisme masculin de 5,6% et féminin de 21,5 % (au passage cette différence en dit long sur la place réelle de la femme dans les zones non urbanisées), vingt fois moins de livres publiés qu’en France, une corruption deux à trois fois supérieure à ce qu’elle est dans l’Union Européenne.
La Turquie n’adhérera pas à l’UE parce que la violence faite aux femmes (entre autres, à travers les épouvantables « crimes d’honneur ») y reste trop grande et parce que l’interminable et stupide polémique entretenue sur le génocide arménien montre que cette nation n’a pas la maturité lui permettant de regarder ses erreurs en face.
Bien entendu, les technocrates de Bruxelles et quelques politiques égarés peuvent penser que le processus de négociations permettra de dépasser ces différences ou de les rendre secondaires. Mais, outre le fait que l’on peut douter d’une évolution aussi positive et rapide, il n’en reste pas moins que faire adhérer la Turquie sans passer, dans certains pays, par le référendum, provoquerait une crise majeure et sans doute l’éclatement de l’Union européenne.
Reste donc à nos politiques à trouver les moyens de faire comprendre cette vérité à Ankara et, surtout, à réparer la cassure qui en résultera. Car si la Turquie n’a pas vocation à « devenir » européenne (puisqu’elle est et restera moyen-orientale), elle n’en demeure pas moins, malgré les quelques défauts que nous avons répertoriés dans une liste qui est loin d’être exhaustive, un allié et un ami. Un allié et un ami auquel de multiples formules d’association et de collaboration peuvent et doivent être offertes.  Dans le respect mutuel mais en toute lucidité et sans renier nos valeurs.

 


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