Asie du Nord-est : le discours nationaliste à l’épreuve des faits



Après l’accumulation d’incidents navals à la fin de l’année dernière (cf. briefing ESISC du 28 septembre 2012 : Menaces pour la paix mondiale en mer de Chine), ce début d’année 2013 a été marqué par de nouveaux pics de tensions entre la Chine et le Japon. La souveraineté sur les îles Senkaku/Diaoyu, les controverses historiques sur le passé militariste japonais et les craintes sur la nucléarisation de la péninsule coréenne constituent en effet autant d’orages susceptibles de troubler le climat diplomatique asiatique à court-terme.

 

Des déclarations prononcées ces derniers jours par des dirigeants chinois et japonais laissent néanmoins penser que les deux pays restent déterminés à maintenir un niveau de relation acceptable pour faire face à une situation économique particulièrement difficile. Les prochaines semaines nous diront si ces démarches d’apaisement porteront leurs effets, ou si les gouvernements chinois et japonais persisteront dans leurs élans nationalistes pour plaire à des opinions publiques enflammées par les provocations en mer de Chine orientale.

 

Nouveau paysage politique en Asie du Nord-est

 

Jeudi 10 janvier, les forces japonaises d’autodéfense ont envoyé deux chasseurs F-15 suite à l’intrusion d’un avion patrouilleur dans l’espace aérien de l’archipel des Senkaku/Diaoyu. En réaction, Pékin a confié une « mission de surveillance » à des avions de combat J-10 pour démontrer sa détermination à défendre ses revendications territoriales en mer de Chine orientale. Un incident similaire s’était produit jeudi 13 décembre, jour du 75ème anniversaire du massacre de Nankin. Rappelons que l’annonce faite en septembre par le gouvernement de Tokyo du rachat des îlots à ses propriétaires privés avait provoqué de violentes manifestations antijaponaises en Chine et la fermeture temporaire de plusieurs sites de productions industriels menacés de déprédations par des activistes nationalistes.

 

C’est dans ce contexte diplomatique difficile qu’ont été portés au pouvoir les nouveaux dirigeants des trois plus grandes puissances économiques d’Asie : la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Le 15 novembre, les délégués du XVIIIème congrès élisaient le futur président Xi Jinping pour succéder à Hu Jintao au poste de Secrétaire général du Parti communiste. Dimanche 16 décembre et mercredi 19 décembre, les électeurs japonais et sud-coréens portaient au pouvoir les partis conservateurs de Shinzo Abe et de Park Geun-Hye. L’ampleur de ces changements politiques simultanés, auquel on peut ajouter l’accession aux commandes du régime nord-coréen de Kim Jong-eun au tout début de l’année 2012, est inédite dans l’histoire récente de l’Asie. 

 

Affirmation du discours nationaliste

 

Dès sa première rencontre avec la presse en tant que leader du parti communiste, Xi Jinping a affirmé que la « grande renaissance de la nation chinoise » resterait l’objectif principal de son mandat à la tête de l’Empire du milieu. L’homme, issu de l’aristocratie communiste, est le leader de la faction des « Princes rouges », n’a jamais fait mystère de son appartenance à la ligne offensive de la direction communiste, notamment au sujet de la souveraineté chinoise sur les archipels disputés mer de Chine méridionale (Spratleys et Paracels) et orientale (Senkaku/Diaoyu). Son discours fait écho à la position du gouvernement japonais, pour lequel la souveraineté du japon sur les îlots de la mer de Chine orientale n’est « pas négociable ».

 

Au Japon, le « faucon » Shinzo Abe, déjà chef du gouvernement de septembre 2006 à septembre 2007, a offert au Parti libéral démocrate (PLD) une victoire électorale triomphale sur base d’un programme ouvertement nationaliste. Dès son accession au pouvoir, le nouveau gouvernement a annoncé la première augmentation des dépenses militaires depuis 2001. Peu avant les élections, Shinzo Abe a par ailleurs visité le sanctuaire Yasukuni, où sont honorées les âmes des soldats japonais tués de 1868 à 1951, y compris celles des criminels de guerre de « classe A » pendus après le procès de Tokyo de 1946. Rappelons que ce sanctuaire, de même que le refus de l’état japonais de dédommager les femmes réduites en esclavage sexuel pendant la seconde guerre mondiale, constitue l’une des principales raisons du rejet dont l’archipel nippon fait toujours l’objet en Chine, en Corée du Sud, en Indonésie ou aux Philippines.

 

Discours idéologique confronté aux réalités diplomatiques

 

Parmi les propositions préélectorales du Parti libéral démocrate figuraient  la rédaction d’une nouvelle constitution et l’abolition de la constitution pacifiste de 1947, la transformation des forces d’autodéfense en armée nationale, et le renforcement de la coopération sécuritaire avec les Etats-Unis. Shinzo Abe a néanmoins été confronté à des difficultés d’ordre diplomatique dès les premiers jours de son entrée en fonction. Il lui a ainsi été impossible de se rendre aux Etats-Unis pour y effectuer la première visite officielle de son mandat. Des responsables des deux gouvernements ont expliqué cette entorse à la tradition par des difficultés à coordonner les agendas. Elle marque toutefois une prise de distances de Barack Obama, aux yeux duquel les relations avec la Chine constituent une priorité diplomatique incontournable. 

 

Au cours de l’une de ses premières conférences de presse en tant que Premier ministre, Shinzo Abe a par ailleurs déclaré que la relation bilatérale nippo-chinoise restait fondamentale pour le Japon. Selon lui, il est crucial de bien gérer les problèmes existants entre les deux pays et il a déclaré que le Japon poursuivrait avec patience le dialogue avec la Chine pour améliorer la relation entre les deux pays. Jeudi 24 janvier, le chef du parti bouddhiste Nouveau Komeito, Natsuo Yamaguchi, a remis une lettre de son allié Shinzo Abe à Xi Jinping lors d’une rencontre à Pékin. Cette démarche a été interprétée comme un geste de bonne volonté à l’intention de la Chine, qui a annoncé son intention de porter le contentieux territorial qui l’oppose au Japon devant une commission des Nations Unies.

 

Un avenir diplomatique incertain

 

De nouvelles flambées nationalistes ne sont pas à exclure dans les mois à venir. Des provocations navales se produiront très certainement au large des îles Senkaku/Diaoyu. Par ailleurs, la radicalisation des opinions publiques au Japon, en Chine et Corée du Sud éloigne chaque jour un peu plus un apaisement de la controverse sur la reconnaissance des crimes de l’armée impériale japonaise. Lors de son premier mandat en 2006, Shinzo Abe ne s’était pas rendu en visite au sanctuaire Yasukuni en sa qualité de Premier ministre. Poussé par les éléments les plus nationalistes de sa coalition, il est à craindre qu’il fasse montre de moins de prudence à l’occasion de son retour au pouvoir.

 

La tentative de rapprochement esquissée à travers la visite à Pékin de Natsuo Yamaguchi indique toutefois un timide souhait d’apaisement des relations sino-japonaises. De même, les avertissements adressés cette semaine par Pékin après les menaces de Pyongyang de procéder à un nouvel essai nucléaire sont un élément concret de la volonté de la Chine d’apparaître comme une puissance régionale responsable.

 

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