Dans les cafouillages qui ont suivi l’attentat de Bruxelles, celui qui a le plus frappé l’opinion publique belge est sans doute la divergence entre Flamands et Francophones sur l’ouverture des écoles. Mais y avait-il vraiment un risque que le terroriste s’attaque à des établissements scolaires ?
Etant donné que le terroriste est mort, il est évidemment impossible de le savoir. Sauf si l’enquête révèle, par exemple, qu’il s’était livré à des repérages sur des écoles. Mais cette approche différenciée est effectivement très intéressante.
Que s’est-il passé ?
Lundi soir, la Belgique s’est trouvée confrontée à une situation que personne (en tout cas au sein du gouvernement) n’avait anticipé : un attentat important au cœur de la capitale. Quelques heures auparavant encore, on nous assurait qu’il n’y avait « aucun projet terroriste » en cours (c’est-à-dire dont la préparation avait été « détectée » par les services spécialisés). Et là, tout d’un coup, nous avons assisté à une scène de guerre en plein Bruxelles.
La panique a déferlé sur les responsables politiques. Ce qui explique, par exemple, que les réunions entre décideurs aient été si longues et chaotiques, dans la nuit de lundi à mardi. Ce n’est que vers cinq heures du matin que les mesures prises ont été annoncées. Les Flamands ont confirmé une décision déjà prise (la fermeture des écoles de la Communauté flamande à Bruxelles), alors que la communauté Wallonie-Bruxelles s’y refusait. En fait, les Francophones estimaient qu’il n’y avait aucun risque sur ce type de cibles, tandis que les Flamands évoquaient l’attaque d’Arras qui, trois jours plus tôt, avait visé une école et craignaient une répétition de ce drame. Les uns ont donc voulu montrer un certain calme tandis que les autres faisaient jouer le principe de précaution, par peur d’un effet« copycat ».
L’effet « copycat »
A l’origine, à la fin du XIXe siècle, le « copycat » désignait la copie de mauvaise qualité d’une œuvre artistique.
Dans les années soixante, la presse anglo-saxonne a commencé à appliquer ce concept à la criminologie : l’effet « copycat » est devenu alors la répétition d’un mode opératoire criminel par un imitateur.
Cette imitation peut prendre plusieurs formes.
Par exemple, la répétition d’un modèle venu des médias ou du cinéma. L’une des plus célèbres actions « copycat » de ce type est la tentative d’assassinat de Ronald Reagan par John Hinckley, le 30 mars 1981. Il avait été inspiré par le film « Taxi driver ».
Autre exemple : le film « Tueurs nés » aurait provoqué une dizaine de meurtres par imitation.
On parle aussi d’effet « Werther », en référence au livre de Goethe, « Les souffrances du jeune Werther », qui raconte le suicide d’un très jeune homme à la suite d’un chagrin d’amour. Après la publication de l’ouvrage, en 1774, on a assisté à une « épidémie » de suicides de jeunes gens à travers toute l’Europe, à tel point que le livre de Goethe a été interdit dans plusieurs pays. Par la suite, un sociologue américain, David Philipps, a mis en évidence, en 1982, que la révélation d’un suicide dans les médias entraîne, en général, une hausse immédiate de cas similaires.
L’effet « copycat » en terrorisme
On a remarqué qu’après une assez longue période de calme, un attentat commis par un acteur isolé peut en entraîner un ou plusieurs autres. Un attaquant au couteau, par exemple, peut faire des émules.
Il est évident que l’effet « copycat » ne touche que des personnalités fragiles, mal construites et peu équilibrées, des gens qui ont du mal à s’imposer dans la vie, à trouver une place et à décider pour eux-mêmes. Et tout d’un coup, il se passe quelque chose qui « leur parle », comme une sorte de « signe », et ils se disent : « Mais évidemment, c’est ça la solution, c’est ça que je dois faire… »
On peut craindre que le conflit au Moyen-Orient entraîne une flambée d’actions terroristes individuelles en Europe, du type de celle d’Arras ou de Bruxelles et qu’à leur tour, ces attentats « donnent des idées » à des extrémistes qui voudraient faire quelque chose mais ne savent pas quoi ou qui ne parviennent pas à se décider à passer à l’acte. Ils se diront : « Si un autre l’a fait, je peux moi aussi ».
C’est évidemment un cauchemar pour les services de sécurité parce que cet effet « copycat » peut influencer des individus dont la radicalisation n’avait pas été remarquée, et qui étaient donc « sous le radar », ou qui, simplement, étaient en voie de radicalisation sans que celle-ci ne soit achevée.
L’effet « copycat » peut alors agir tout à la fois comme un formidable accélérateur de radicalisation et une puissante motivation de passage à l’acte.
©ESISC 2023
claude.moniquet@esisc.org
www.esisc.org