Les médias arabes et occidentaux ont relayé très rapidement un communiqué publié par l’armée égyptienne sur son site Facebook. On y apprenait qu’Abdel Fattah al-Sissi, le ministre de la défense et le commandant en chef des forces armées avait convié, mardi 11 décembre, le président Morsi ainsi que les représentants de l’opposition et de la société civile à se rencontrer pour trouver ensemble une solution à la crise politique aigue que traverse l’Egypte.
Alors même que la presse annonçait que cette rencontre se tiendrait ce mercredi 12 décembre à 16h30 heure locale, dans un club militaire, un porte-parole de l’armée, le colonel Ahmed Mohammed Ali précisait que le général al-Fissi n’avait pas lancé d’appel à un « dialogue sur l’unité nationale » et que la proposition de l’armée n’avait pas pour objectif d’entamer un dialogue avec l’opposition mais ne visait qu’à rassurer le peuple égyptien.
Enfin, peu avant 16h heure locale, l’armée égyptienne a publié sur son compte Facebook un communiqué qui déclarait que la réunion qui aurait dû débuter une demi-heure plus tard était reportée sine die en raison des réactions hostiles émises par des représentants des partis d’opposition et de la société civile. Il faut ajouter que le report de la rencontre a été annoncé par l’armée égyptienne quelques minutes après que l’opposition ait fait part de sa décision d’y participer.
En première analyse, on peut avancer l’hypothèse que les hésitations de l’armée suivies de l’abandon de son projet d’organisation d’une rencontre entre le président Morsi et l’opposition sont significatives de ses difficultés à définir clairement sa ligne politique.
On se rappelle le rôle joué par l’institution militaire égyptienne dans la chute du régime d’Hosni Moubarak. Son refus d’assurer la défense des institutions et par là même les intérêts du pouvoir en place avait largement contribué à la défaite d’Hosni Moubarak. La situation qui prévaut actuellement en Syrie démontre les difficultés pour les mouvements d’opposition de démettre un pouvoir politique qui peut toujours compter sur le soutien actif de l’armée.
Dans le contexte particulièrement délicat que connaît l’Egypte, la personnalité d’Abdel Fattah al-Sissi, et donc les choix qu’il est susceptible de poser, reste énigmatique.
Mis en place, à la surprise générale par Mohamed Morsi le 12 août dernier après la destitution tout aussi étonnante de son prédécesseur, le tout puissant Maréchal Tantaoui, le nouveau ministre de la Défense et chef d’Etat-major dispose sans doute des moyens de faire fléchir la présidence égyptienne. En a-t-il la volonté, c’est toute la question ?
Le général al-Sissi appartient à la nouvelle génération d’officiers supérieurs de l’armée égyptienne. Né en 1954 et diplômé de l’académie militaire en 1977, il est représentatif des cadres de l’armée qui ont pris leur poste après la fin de l’état de guerre avec Israël et qui n’ont donc aucune expérience significative des champs de bataille. Homme du sérail et homme discret, Abdel Fattah al-Sissi a mené une carrière brillante et rapide. Après avoir commandé des unités d’infanterie, il a occupé le poste très important d’attaché militaire en Arabie Saoudite et depuis fin 2008 celui de directeur des services de renseignements de l’armée. C’est donc en cette dernière qualité qu’il a vécu les évènements de la révolution égyptienne ainsi que le processus électoral qui a abouti à l’élection de Mohamed Morsi à la présidence de la république.
Musulman pratiquant, le général al-Sissi a parfois été présenté comme l’ « homme des Frères Musulmans » dans l’armée égyptienne. Cette hypothèse d’une infiltration de la Confrérie au plus haut niveau de l’armée à l’époque du président Moubarak et du Maréchal Tantaoui paraît néanmoins hautement improbable.
Contrairement aux idées reçues, il est même envisageable que le général al-Sissi soit plus favorable que son prédécesseur au maintien des relations de confiance avec Washington.
Le maréchal Tantaoui, rappelons-le, fût formé à Moscou à l’époque de la Guerre froide et il fût engagé dans les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973. Le général al-Sissi a pour sa part achevé sa formation à l’école de guerre de l’US Army en 2005 et 2006. Comme pour bon nombre d’officiers égyptiens qui ont connu les écoles militaires américaines, le général al-Sissi est sans doute revenu de son séjour aux Etats-Unis avec un regard nouveau sur la société américaine.
La plupart des observateurs s’accordent également sur le fait qu’al-Sissi est apprécié et respecté par les officiers de l’armée. Ceux-ci reconnaissent à la fois ses compétences de chef militaire mais également, et c’est peut-être là le point le plus important, un réel souci de remise à niveau des équipements et de la formation d’une institution militaire en piètre état. Des préoccupations mal ou pas rencontrées par son prédécesseur.
Contrairement au maréchal Tantaoui qui se voyait en faiseur ou tombeur de gouvernement, il est possible que le général al-Sissi souhaite plus simplement assumer ses fonctions de plus haute autorité militaire du pays. A l’instar de Rachid Amar, le chef d’état-major de l’armée de terre tunisienne qui a contribué au départ du président Ben Ali, notamment parce que celui-ci avait fait de l’armée un parent pauvre du régime, il est crédible d’envisager qu’en dernière analyse c’est la place réservée aux forces militaires par le président Morsi qui dictera au général al-Sissi sa conduite.
Si cette idée devait se vérifier, donc si contrairement aux apparences l’armée égyptienne conduite par le général al-Sissi s’avèrerait plus préoccupée par son avenir militaire que par son destin politique, il est vraisemblable que le président Morsi pourra imposer ses vues lors du prochain référendum qui devrait lui conférer constitutionnellement des pouvoirs quasi absolus. L’armée préférerait, dans ce cas de figure, accorder à Mohamed Morsi un délai raisonnable plutôt que de s’aventurer à miser sur une opposition hétéroclite.
Dans ce cas, Mohammed Morsi, qui fût considéré comme le « candidat par défaut » des Frères Musulmans à l’élection présidentielle du 17 juin 2012, aura démontré une fois encore, en démettant le maréchal Tantaoui et en nommant à sa place le général al-Sissi, l’efficacité de ses tactiques et stratégies politiques.