Par 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions, l’assemblée générale des Nations Unies a accordé le statut d’Etat observateur à la Palestine dans la soirée du jeudi 29 novembre. Après l’échec d’une initiative similaire l’année dernière, ce vote apparaît comme un succès personnel pour le président palestinien Mahmoud Abbas, qui a fait preuve d’une détermination à toute épreuve dans ce dossier. La décision de l’ONU a été accueillie avec allégresse dans les principales villes palestiniennes et particulièrement à Ramallah, où des partisans du Fatah ont brandi des portraits du président Abbas et de Yasser Arafat devant le siège de l’Autorité palestinienne (AP). Un défilé « unitaire » a également pris place à Gaza, après que le Hamas ait autorisé la population à exprimer ses sentiments. Le parti islamiste a en effet qualifié l’évènement de « victoire sur la route de la libération de la Palestine ». Rappelons qu’il était opposé à cette démarche jusqu’à une déclaration de soutien de son chef Khaled Meshaal et de l’ensemble du bureau politique en exil lundi dernier.
On ne peut que relever la forte dimension symbolique de l’adhésion d’un état de Palestine aux Nations unies, même en tant qu’observateur non-membre. À court terme, ce changement de statut international ne devrait cependant pas avoir d’impacts concrets sur la situation sur le terrain et sur le processus de négociations avec Israël. Quelques jours à peine après la fin de l’opération « Pilier de Défense », il est clair que l’avenir des relations entre Palestiniens et Israéliens dépend plus de la capacité, ou de la volonté, des dirigeants de Gaza à imposer le respect de la trêve aux groupes djihadiste que du vote onusien. De plus, la prise de position de Khaled Meshaal démontre le désir du Hamas de détourner à son profit le succès du président palestinien. Enfin, notons que ce rapprochement de façade entre le Fatah et le Hamas ne devrait pas faciliter la reprise du dialogue avec Israël à moins de deux mois d’élections législatives centrées sur les enjeux sécuritaires.
Victoire symbolique de Mahmoud Abbas
Avant d’analyser en détail les conséquences pratiques du vote de jeudi, il convient de constater le succès de la stratégie internationale obstinée de Mahmoud Abbas. Au départ, la détermination du président palestinien à emprunter la voie onusienne répondait principalement à des impératifs de politique intérieure. Confronté au risque de voir le Hamas s’emparer du pouvoir sur l’ensemble des territoires palestiniens, il avait besoin d’une victoire sur le front diplomatique pour restaurer, au moins en partie, la crédibilité perdue du Fatah. Au regard des scènes de liesse et d’émotion observées dans les rues de Cisjordanie et de Gaza, Mahmoud Abbas semble avoir réussi son pari de rentrer dans le cœur des Palestiniens comme celui qui aura réussi à leur offrir un état. Conscient de la nécessité d’apparaitre comme un homme de dialogue sur la scène internationale, le président palestinien a promis de tout faire pour « ranimer les négociations avec Israël », estimant qu’un vote favorable à la résolution était la «dernière chance de sauver la solution à deux Etats ».
Ce succès de Mahmoud Abbas ne doit pas faire oublier l’étroitesse des marges dont dispose l’autorité palestinienne au point de vue économique et social. S’il veut récolter les fruits de ce résultat diplomatique, le président palestinien devra maintenant démontrer sa capacité à obtenir le gel de la colonisation en Cisjordanie. Il devra par ailleurs faire face au risque non négligeable d’une demande de remboursement des dettes accumulées envers Israël, notamment pour la consommation d’électricité de la Cisjordanie. La situation financière catastrophique de l’AP et les coupes budgétaires auxquelles sont déjà soumis ses principaux départements ministériels sont une bonne indication des difficultés pratiques qui barrent encore le chemin de la Palestine vers une indépendance effective.
Fermeté des Etats-Unis et d’Israël
Les Etats-Unis et Israël ont toujours exprimé leur opposition à une adhésion de la Palestine à l’ONU en dehors du cadre des négociations de paix. Dès la fin du vote de l’Assemblée générale, l’ambassadrice américaine à l’ONU Susan Rice a justifié cette opposition en condamnant une « résolution malheureuse et contre-productive (qui) met encore plus d'obstacles sur le chemin vers la paix. » Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a pour sa part regretté les propos « diffamatoires » tenus par Mahmoud Abbas à la tribune de l’ONU. Il a aussi répété que des garanties suffisantes pour la sécurité d’Israël restaient l’unique moyen à la disposition des Palestiniens pour obtenir un état à part entière. Le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, allié du Likoud de Benjamin Netanyahu pour les élections législatives du 22 janvier, a assimilé l’attitude de Mahmoud Abbas à du « terrorisme politique », estimant qu’il ne faisait qu’essayer de « compenser à l’extérieur ses échecs en politique intérieure ». En plus de ces déclarations, Israël a annoncé la mise en chantier de 3 000 nouveaux logements dans la zone « E1 » de Cisjordanie, entre Maalé Adoumim et Jérusalem. Le ministre israélien des Finances, Youval Steinitz, a aussi suspendu le transfert de 90 millions d'euros de TVA et de droits de douane à l'AP.
L’approbation très large de la résolution sur la Palestine – seuls le Canada, la République tchèque, Panama et quatre micro-états du Pacifique se sont alignés sur la position des Etats-Unis et d’Israël – en dépit de ces arguments démontre donc l’isolement international croissant dont souffrent Washington et Tel Aviv sur ce dossier. On remarquera avec intérêt le vote divisé de l’Union européenne, dont 14 membres sur 27 ont voté en faveur de l’adhésion à l’ONU. La France a ainsi voté pour en appelant à une reprise rapide du « dialogue direct », alors que le Royaume-Uni et l’Allemagne se sont abstenus. Les divergences des Européens, qui restent les plus grands bailleurs de fonds de l’AP, témoignent de leurs inquiétudes sur les conséquences politiques de la reconnaissance d’un état palestinien dans le contexte chaotique qui a suivi les révolutions arabes de 2011.
Risque d’émergence du Hamas au sommet de l’AP
On le voit bien, le statut d’observateur accordé par l’ONU à la Palestine ne suffira pas à créer un Etat. Au contraire, il pourrait retarder un peu plus la reprise des négociations de paix. Dans les mois à venir, l’évolution de la situation sur le terrain dépendra largement de l’usage que fera la Palestine des prérogatives liées à son nouveau statut. La tentation de porter le dossier de la colonisation devant la Cour pénale internationale, option encore soumise à l’approbation des Etats signataires du statut de Rome de 1998, éloignerait en effet un peu plus la perspective d’une solution négociée avec l’état hébreux. Le plus grand risque réside toutefois dans la chute de l’autorité palestinienne dans les mains du Hamas. Affaibli militairement par l’opération « Pilier de Défense », le groupe terroriste a au contraire vu sa légitimité renforcée dans l’esprit de la population palestinienne. Il semble maintenant décidé à tenir le discours de l’unité palestinienne, tout en appelant à poursuivre la « voie de la résistance et du Djihad ».